Editorial d'Octobre 2015

Alice conte d automne

Octobre et son odeur de vent

De brou de noix

D'herbage, de fumée

Et de froides chataîgne...

 

…... Anna de Noailles

 

 

Je ne pouvais m'en empêcher...tous les ans, au mois d'octobre, ces vers envahissaient mon mental...

 

Voilà, octobre est déjà là...une fois de plus. A ma porte, sans demander la permission d'entrer.

 Aujourd'hui, je le subis. Et sans la moindre pudeur, je l'avoue. Le proclame ! : Je subis ! Sa langueur monotone. L'envie, juste, de contempler les premières feuilles jaunies tourbillonner, en réprimant un frisson. Demain sera un autre jour. Avec du punch, du mordant, de la confiance, de l'esprit d'entreprise. Mais aujourd'hui, s'il vous plaît, laissez-moi subir, et le dire. Oh, point subir dans la colère et le malaise. Non. Plutôt dans une sorte de doux feutrage au travers duquel j'évolue, passant et repassant le plumeau sur les dossiers en attente, rêvassant à ce qu'il me reste de nourriture dans le frigo pour éviter de me maquiller  aux fins d'être présentable au restaurant. Yack, le chien, attendra le soir pour la promenade. J'ai décidé de ne rien foutre. De me complaire dans une activité de tortue. De me transformer en lièvre un autre jour. 

 

Mon nouveau scénario de théâtre attendra encore un peu. La quintessence du travail de notre troupe vient d'être condensée dans un petit film, pratiquement terminé à présent...Quelle implication ce merveilleux jeu d'acteurs représente-t-il, en électrons-volts, ou en Joules ? Combien de grincements de dents, de joie furieuse, de trac, de fierté, de doutes ? De rancune, aussi, contre celui qui, à l'époque, avait filmé cette belle représentation, d'une main, en téléphonant, de l'autre !? Mettant à mal, ainsi, la forme même du souvenir dont la trace allait ainsi s'effacer...

 

Je m'étais battue pour lui redonner forme convenable, à ce souvenir. Parfois, lasse, distraite, n'y croyant plus trop. Me trompant de cible ou de bouc émissaire. Et puis, finalement, le souvenir s'était reformé, tangible, fier ! Comme une chrysalide, déployant ses ailes, il était apparu, un jour, sur l'écran de l'ordi : c'était lui, le VRAI souvenir ! Le souvenir DIGNE ! Le film épuré, remodelé, avec des images chocs, des voix fortes, sûres d'elles, des actrices de rêve, immatérielles et combien présentes. Au milieu de couleurs épaisses, sombres et lumineuses. Et d'une petite musique un brin malicieuse qui, sans jamais en avoir l'air, raconterait éternellement nos exaltations, nos craintes, nos souffrances.

Le film m'était parvenu par le monteur, Tibi. Lorsque je visionnais la fin du film, et qu'apparaissait sur l'écran, le gros corps bourré d'électronique du robot Tibi, qui imperceptiblement, s'avançait vers le spectateur, j'aurais presque cru qu'il se dandinait effectivement au rythme du leitmotiv malicieux : « la-la-la-lala-PApaPAM....la-la-la-lala-PApaPAM ». Le gros travail de Tibi ne serait jamais récompensé autrement que par le propre plaisir et la propre fierté de cet homme-robot, à la sensibilité aiguisée. Parfois, je ne pouvais m'en empêcher, l'espace de quelques secondes, je murmurais, entre mes lèvres : »Tibi, on va fêter ça ! Vous allez voir ! Je vous offrirai d'excellentes gaufres ! Un tas de gaufres, ; ENORME ! Vous aurez une indigestion qui durera...des semaines ...des mois !».

 

Ouhlah ! Surtout pas ! Tibi est un personnage de rêve, et doit le rester. Vous avez déjà entendu

parler de la théorie quantique ? Un  phénomène, à l'échelle de l'ultra petit, se déforme, dès qu'il est observé : un photon peut très bien se dédoubler, à des km de distance. Mais dès qu'il est observé, il redevient un seul et unique. Vous connaissez aussi « le sourire devant le photographe » ? « Souriez, souriez », si bien que le photographe ne capte plus que la contrainte agacée...

Tibi, éternel et complaisant robot, ne pouvait être contraint. Il fallait s'en satisfaire, au même titre que de la théorie quantique, et de moult choses qui resteront toujours incompréhensibles au commun des mortels. Et vivre avec. Au mois d'octobre. Et aussi tous les autres mois de l'année. 

Demain sera un autre jour.

A demain, donc !

 

Simone