Éditorial de Décembre 2016

« Tu n'm'écoutes pas » !

Dernier édito pour cette année...Traditionnellement je devrais choisir un sujet plus...lumineux – je veux dire immaculé – comme la neige un jour d'hiver dans l'esprit du bon vieux temps – plus limpide aussi – et clair – comme l'eau de roche qui s'écoule en petites bulles pétillantes dans la pub originale que vous savez, sur nos écrans télés, laquelle nous donne un avant-goût des reflets scintillants,  sous peu accrochés à tous les lampadaires de toutes les rues qui se respectent de France et d'ailleurs...enfin, disons : ...d'Europe.

 

Et c'est ainsi que je m'éloigne de plus en plus du sujet proposé ce jour par votre servante...affligée, de temps à autre, de la pathologie rare – au nom mystérieux de : « logorrhée »...vous connaissez, peut-être !?En fait, pas vraiment si rare que ça !(Plusieurs cas existent : celle des gens qui parlent beaucoup - on va dire trop - pour les oreilles sensibles - mais pour dire des choses sensées – et puis celle des gens qui parlent toujours trop pour ne dire toujours que des conneries – les oreilles s'en accommodant – mais pas l'esprit critique des interlocuteurs subissants.

 

Donc, l'autre jour (pour reprendre le fil de mes idées en train de s'égarer gravement...), quelqu'un m'avait dit : « Tu n'm'écoutes pas ! ».

 

Très intriguée, j'y avais longuement réfléchi...Comment se pouvait-il !?Je sais bien : parfois, suivant le fil d'une idée intéressante, je négligeais de prêter les deux oreilles à certains babillages – mais pire – peut-être : carrément à des considérations à prendre en compte !? (Simone, où t'as rangée tes petites cuillères!?)...mais non, cela devait être d'un autre ordre - pas quelque chose d'aussi bassement pragmatique...j'avais dû rater le coche à quelque part – et toujours, comme un leitmotiv, était venu – formulé gravement, cette constatation tristounette, amplifiée par tous les échos de tous les murs environnants : « Voilà, Simone, tout simplement dit : «  tu ne nous écoutes pas ! »

Grave !

Je demandais des exemples – l'on ne pouvait jamais m'en donner précisément – mon impression était que c'était « en général » que je « n'écoutais pas ». Je suivais une idée, droite dans mes bottes. Trop droite. Car, quand même, je savais écouter les plaintes secrètes, non formulées...Quand Jeanne poussant son déambulateur, s'approchait de moi, accrochée à sa pompe à oxygène, qu'elle me prenait la main, et me disait en aparté, d'un ton impossible à reproduire : « Merci ! Merci de votre amitié «  - je savais que j'avais su écouter sa quête secrète et sans paroles. Cette quête de toutes les personnes malheureuses et isolées, et qui ne s'en plaindront jamais. Auprès de qui je me rendais, régulièrement, pas seulement pour entretenir, encore, ce qui leur restait en matière de bonne forme, mais aussi pour leur donner ce qui leur manquait le plus : de la gentillesse et de l'amour.

 

Je ne savais peut-être pas distribuer cela dans tous les azimuts !?

 

Mais probablement ne m'en demandait-on pas tant ? Juste, qui sait, possiblement, d'accepter « d'écouter », dans le sens de : «prendre en considération » ? Par exemple : «Simone, tu conduis trop vite ! » Au lieu de dire : «Oui Maman, je vais conduire plus prudemment », je me livrais à des considérations qui finissaient par prouver par A + B que la vitesse pouvait être un accroissement de sécurité (fuir en avant, c'est en quelque sorte fuir un certain risque...). De même que 90 km/h sur l'autoroute pouvait représenter un risque certain...

Enfin bref, à mon « manque d'écoute » s'ajoutait un second péché, loin d'être véniel : J'avais grand tort d'avoir toujours raison. Hé oui, c'est ainsi que vous vous faites détester des meilleurs !

 

J'en étais arrivée à cette conclusion le jour où Freddy (le surnom a été modifié par discrétion...) avait asséné, à propos d'un modèle de Jeep un peu particulier que je contemplais sur Internet avec une certaine nostalgie : «Mais vous êtes folle,vous n'allez quand même pas vous acheter ça, non ?! Décidément, vous n'écoutez rien »...

 

Alors, je cru comprendre : Voilà :

 

J'étais trop indépendante – je n'écoutais pas les bons conseils – il y a deux tranches d'âge, dans la vie, où l'on se doit d'écouter les conseils des personnes sensées : le jeune âge...et le grand âge.Moi, je me situais au mauvais bout. Ben voilà ! J'avais enfin compris le pourquoi des reproches généraux formulés autour de moi ! Je n'avais plus l'âge de me conduire comme une jeune fille ! Je devais un peu laisser les autres gérer ma vie  à ma place! Et ne pas constamment défier – si ce n'est le bon sens – du moins le sens commun. Porter des cheveux longs plutôt que courts– même en chignon, « à mon âge - cela signifiait que « l'on ne voulait pas être comme tout le monde ». Dans les bons jours, on me disait que j'étais « très originale », et dans les mauvais jours, « carrément  folle ».

 

L'autre jour, croisant une amie centenaire (je suis tout de même un peu plus jeune...), laquelle, quasi-aveugle, avait perdu son chemin dans les multiples couloirs de l'EHPAD, je l'observais, ravie de la voir avancer si vite  en chaise roulante, et ceci grâce à des gambettes encore solides et étonnamment agiles.

« Je voudrais aller dans ma chambre, me dit-elle, me reconnaissant à la voix, je me suis perdue... ». Et, effectivement, il y avait de quoi se perdre dans ce labyrinthe de couloirs. Je me mis à la pousser dans la bonne direction. Et là, une jeune femme en blanc nous lança : «  Non non, ne bougez pas,je vais venir tout à l'heure vous chercher ! »

 

Gisella (le surnom est également faux...)me répéta : «s'il vous plaît, je veux aller dans ma chambre ! ». Ce n'était pas l'heure du repas, Gisella n'attendait aucun soin, je pris alors la décision, plutôt que de la laisser continuer ses errances, en s'angoissant de plus en plus, de la conduire dans sa chambre. Nous croisâmes une deuxième fois « la personne en blanc », laquelle, interloquée, nous répéta : «Mais restez-là, je vais venir ! »

Alors, excédée, je demandais à « la dame en blanc » :

 

« C'est vous qui décidez pour elle, c'est ça  !?

 

Et là, stoppée dans son élan « de gérer à la place des autres », la « dame en blanc » capitula...et nous laissa libres d'aller ou nous voulions.

 

Je ne sais pas si vous avez remarqué : la gestion de la vie des autres, si parfois elle est imprégnée d'altruisme, est aussi un rapport de puissance. Enfants, nous ne l'avons pas encore, et, âgés, nous la perdons, cette puissance, bouts par bouts. Il est pourtant important – vital – même -  de la conserver le plus longtemps possible ! Jusqu'au delà de 100 ans, chère Gisella ! Et bravo à vous ! Je n'ose espérer atteindre votre record !