Editorial de Mars 2016
LE LONG COMBAT DU POT DE TERRE...
Il disposait d'un bon avocat, Mr M...
Et il était loin de faire son âge : la petite cinquantaine, au max...Probablement le bon air de la campagne. Pour un agriculteur, c'est de mise...On a peine à croire, à le voir, là, droit comme un piquet, et de si fière allure, qu'il s'est fait coincer, au détour du chemin, tel un vulgaire insecte, lui aussi, par la mixture de savants mélanges concoctée longuement par un consortium d'apprentis sorciers dont le but officiel affirmé n'a toujours été que de faire survivre l'humain, en prenant en passant juste ce qu'il convient pour permettre à l'industrie de poursuivre sans trop d'entraves son œuvre altruiste.
La salle de la cour d'appel était comble. Je me coinçai, debout, entre deux messieurs qui voulurent bien me céder un peu de place, encore essoufflée d'avoir quasi-couru tout le long de l'Esplanade – et ça montait raide - pour rattraper le retard engendré par les bouchons matinaux, à l'entrée de Metz.
Dans cette salle, haute et plutôt grande, tout devant, il y avait « la cour ». Un avocat général – en la personne d'une jeune dame (la quarantaine?) - un juge d'instruction – placé au centre...(si ce n'est pas sa désignation officielle, du moins, il en jouait le rôle...il convient d'être prudent à propos des termes précis concernant le contexte qui nous occupe – ce n'est pas évident pour un non-initié...
A droite, une dame, plutôt jeune, elle aussi, dont je ne sus pas trop si elle était juge – ou greffière – comme elle disposait d'une sorte de petit appareillage – j'en conclus – à tort ou à raison - qu'il s'agissait de la greffière.
Le juge ne parlait pas très fort. J'entendais environ un mot sur deux, de là où j'étais placée. « Vous entendez bien, demandais-je aux deux messieurs qui m'encadraient - circonstances obligent ?». « Non, répondirent-ils, en choeur. » Ce qui me rassura : la qualité de mon audition n'était pas fondamentalement détériorée...
Par contre, l'avocat de la défense parlait fort, et rien ne nous fut épargné. Ni les effets de manches, ni la compassion de bon ton manifestée par rapport au cas – certes affligeant, concéda-t-il – du plaignant – ni non plus ses conclusions, qui pleuvaient, telles des épées de feu, zébrant un ciel plutôt noir. Le noir de la réprobation, car tout cela manquait d'une élémentaire logique : la CIVI (Commission d'indemnisation des victimes d'infractions) dont il soutenait les intérêts, ne pouvait pas se transformer en juge d'instruction pour déterminer lequel des fabriquants de pesticides avait commis l'infraction, précisément : Quelques-uns !? Tous ensemble !? Cela portait sur 20 ans. Que Mr M. s'attelle à la tâche, prouve ce qui devait être prouvé, et, logiquement, on discuterait ensuite ! Ce n'était que l'un des arguments irritants, voire pire, avancés par cet avocat amoureux d'une logique si rigoureuse qu'elle aurait nécessité de longues années de dur labeur à Mr M pour se retrouver en ce même endroit, preuves suffisantes, enfin, à l'appui !
La foule avait sombre mine. Moi, appuyée à une sorte de muret en beau bois - prévu plus pour symboliser une barrière, et le respect des us et coutumes, que pour y déposer ses coudes, semble-t-il - je réprimai à grand peine de périodiques gestes d'agacement et d'irritations...
Le public, constitué principalement de travailleurs agricoles, patrons ou non, parfois seulement la trentaine – le plus souvent la dépassant largement – le plus souvent des hommes, parfois des femmes, l'air énergique – un homme, aussi, encore jeune, vaillant, en chaise roulante – ce public, qui remplissait tout l'espace, et même s'y coinçait - était venu par solidarité.
Après la séance, tous avaient revêtu leur Te-shirt spécial, qu'ils avaient dû quitter (par respect d'une justice calme et sans pression), en entrant. Souvent j'y avais vu marqué : Victimes des pesticides – fabriquants responsables.
Mais j'en reviens au présent : PENDANT la séance ! :
Victimes des pesticides – fabriquants responsables ! Seule pour l'instant, en face de l'avocat de la défense, l'expression des visages le dit. Clairement et silencieusement.
Il faut préciser que la maladie de Mr M., (une forme de leucémie) avait été reconnue par la justice, en son temps, comme résultant de l'exercice de sa profession, toutes preuves à l'appui...lesquelles preuves ne coulaient pas vraiment de source... A ses frais, entre autres, Mr M avait dû faire analyser des fonds de sacs de pesticides, sur lesquels la composition du produit avait été totalement occultée – ne parlons pas des précautions préconisées – on y mentionnait juste (sur la notice, et non pas sur le sac...) qu'il fallait éviter de donner ce produit aux poissons (!!), et que le port de gants était conseillé pour les manip...le danger des inhalations n'était pas mentionné...
Tout cela, l'avocat de Mr M le met en avant, avec calme et maîtrise. Venant de Paris, il est spécialiste des cas du genre, et cela se remarque. Argument contre argument, les siens sont établis sur des faits précis, prouvés et reconnus.
A ce stade, je crois qu'il est bon que je précise que Mr M, de par une décision de justice antérieure reconnaissant sa maladie comme professionnelle, touchera dès lors une rente ou pension tenant forcément compte de cette décision. Mais, pour le présent procès, il est question d'une indemnité en tant que VICTIME...L'agresseur ? Ben...les fabriquants de pesticides...mais lesquels, au juste !? Et dans quelle proportion... ? C'est pour cela que la CIVI est donc sollicitée – elle a refusé– a été condamnée pourtant à l'indemnisation – par un premier jugement - elle sollicite ensuite la Cour de Cassation, laquelle casse le jugement , mettant en avant des modifications de la loi, et suppressions ou modifications d'articles, arguments dont présentement une seconde avocate du plaignant, fine analyste des lois en rigueur, montre, article par article, le côté non pertinent. Elle est convaincante.
Les visages sont à présent détendus. Le fond de l'air respire la joie et l'apaisement. J'ai oublié de dire que le juge, au centre, nous avait invités, ( tous ceux qui s'appuyaient sur le « muret-de-bois-du-fond », et tous ceux qui n'osaient pas trop s'y appuyer), de « venir devant, il y avait encore une dizaine de place ! »
Oh, j'avais très envie de crier : « Merci ! ! Que c'est bien de nous permettre d'entendre vraiment tout ce qui se dit, sans en perdre un mot – que c'est bien, aussi, de pouvoir s'asseoir – mais vous savez, à entendre tout cela, on ne se sent pas fatigué – juste parfois – impliqué – quand ce n'est pas carrément... indigné... »
Bien sûr, je restai, comme il se doit, silencieuse, et décente.
On dirait que la cour (les trois personnes que j'ai décrites précédemment) a l'air, elle aussi, sereine et détendue. Avant, pendant la plaidoirie de l'avocat de la défense, je la sentais très...figée...
C'est ensuite au tour de l'avocate générale de dire son sentiment. En fait, c'est là que j'apprends qu'il s'agit bien de l'avocate générale. Peut-être cela fut-il précisé au début, mais « on entendait très mal », de si loin !
L'avocate, sans effet de manche, demanda sobrement que la demande de Mr M soit prise en considération.
Nous en saurons plus au mois d'avril, Mr M sera alors fixé exactement sur le résultat des délibérations.
Après 12 ans de combat, peut-être va-t-il pouvoir se libérer enfin l'esprit « en parlant d'autre chose » !?
Une foule de journaliste attend devant la porte. Et la foule intérieure, solidaire, sort, à présent revêtue du Te-shirt blanc, avec des lettres de couleur qui tranchent sur le fond, dans ce large et solennel couloir du tribunal :
« fabriquants responsables »...Ici, c'est dit tout bas.
Mais l'avocat de Mr M, tranquille et ferme, l'avais déjà dit tout haut. Dit et démontré, comme il se doit.
La Présidente de Cancer-Espoir
Simone SCHLITTER
Note de l'auteure :
Je m'abstiens de céder à mon désir de citer des noms...tant que le jugement n'est pas rendu...
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