Éditorial d'Août 2017

Aider à mourir vite – aider à mourir le mieux possible – aider à survivre le moins mal possible ?

Moi, j'avais choisi d'« aider à survivre le moins mal possible ».

 

 Pour l'être qui m'était le plus cher au monde. Jamais je ne m'étais posé, une seconde, la question : « Est-ce que je fais, ce faisant, plutôt bien, ou plutôt mal » ? C 'était d'une évidence lumineuse : je faisais « bien ». Aussi bien que mes bras et jambes et ma petite tête me le permettaient. Ainsi que notre porte-monnaie commun.

 

Mais le problème dépasse, de loin, mes convictions  propres. Peut-être ce genre de thème serait-il davantage à sa place début novembre ? Mais on ne choisit pas le moment pour avoir telle ou telle idée. Elles vous tombent dessus, les idées, en fonction des circonstances. Et là, justement, en passant devant la modeste bibliothèque de l'EHPAD, j'étais restée debout, interpellée par le titre du livre :

 

FIN DE VIE

de Gilles Antonowics

Editeur : Bernard Pasquito

 

Alors j'avais emprunté le livre, et, depuis quelques jours, j'en avalais chaque fois un morceau, à heures plus ou moins régulières. Je ne me jetais pas dessus comme j'aime me jeter sur certains desserts. Je prenais mon temps. Et puis, j'étais de parti-pris. D'un violent parti-pris : je ne pouvais pas avoir consacré vingt ans de ma vie « à avoir mal fait », alors que je resterais in vitam eternam persuadée d'avoir « bien fait ». Alors, je m'approchais du livre, animée d'une certaine circonspection. Et je dois même dire que certaines phrases me faisaient proprement grincer des dents : « l'acharnement thérapeutique », par exemple...ce terme « acharnement », en soi, résonnait bien négativement, alors que moi, oui, je m'étais acharnée, de si longues années durant, et je persistais à en être fière, et je restais fière d'en être fière !

 

Et puis un malaise, parfois, me saisissait, à la lecture : nous étions trop de monde, sur terre. Les vieux, perclus et malades, auraient tous dû avoir le bon goût de souhaiter sans regret quitter ce bas monde, pour concéder dignement une place aux générations suivantes, et ne pas coûter à la sécu plus chère qu'elle ne pourrait payer...

 

Et, le souhaitant, c'eut déjà représenté un pas de plus vers cette solution dès lors sociétalement très acceptable  : aider à mourir vite...

 

Nous, en France, étions à ce propos plutôt en retard. Alors qu'en Suisse – si on avait de l'argent, cela devenait facile – et aux Pays-Bas, aider à mourir vite semblait bien plus abordable qu'en France, également. Et d'en d'autres pays aussi.

 

Toutefois, malgré mon poil hérissé, je pris l'auteur en sympathie. Il abordait le problème avec une franchise désarmante...et rare ! Oser parler de ce problème du surnombre des humains, en soi, c'était courageux !

 

Mais quand même, il y allait fort… Il affirmait que, même sans maladie spécialement grave, une personne très très âgée (quatre-vingt-dix-ans, cita-t-il..) devrait se voir concéder une aide pour mourir, en même temps qu'elle exprimerait une certaine pensée, celle-ci : (J'essaye de réexprimer cette pensée en la condensant...j'espère y parvenir...) :

« Sur cette terre j'ai fait mon temps...l'humanité, coincée sur sa planète trop petite, a besoin d'un peu d'air. Aidez-moi à partir sans regret ».

 

Chapeau l'artiste ! L'ennui c'est que je ne me sentais pas du tout, mais alors pas du tout, sur la même longueur d'onde. J'avais vraiment envie de vivre. Parce que, voilà, dans le mystère du vivant (dans les dédales de l'ADN), à quelque part, était inscrite la loi suivante : « tout être qui vit a reçu dans ses gènes la commande d'aspirer à vivre, par tous les moyens en sa possession, et jusqu'à la limite de ses forces ». Je n'y pouvais strictement rien, c'était marqué dans mes gènes.

 

Alors bon, s'il n'y avait pas d'autre moyen, et que je disposais encore de toute ma tête, et d'une possibilité de paroles, quand je verrais approcher  l'équipe en blanc  tenant l'ultime perf au bout du bras, je dirais  plutôt:

 

« Je m'oppose à ce que vous allez faire, mais comme je suis là, gisante, sans possibilités de fuir, je vais donc subir … Mais, de grâce, ne me demandez pas en plus de dire « merci » !

 

Bambambam ! Que de pensées plaisantes ! Pendant que Maggie, au volant de son coupé d'un joli rouge, nous faisait sautiller, confuse, sur toutes les bosses prévues par la municipalité pour nous obliger au trente à l'heure, évitant, de ce fait, les risques d'accidents mortels, je m'évertuai à lui développer ce qui l'attendait au tournant si elle acceptait les soins palliatifs :

 

« Le pire, c'est pas qu'ils ne t'alimentent plus, le pire, c'est la déshydration – tu sais pas c'que c'est !? Ben, ils te laissent mourir de soif – il n'y a pas de pire supplice au monde – ben oui, j'ai passé par-là – à l'époque – tu sais bien – la chimio m'avait détraqué le système – ça m'empêchait de boire – même pas une seule goutte qui passait – ben non, j'pouvais pas aller m'faire soigner, je m'occupais de mon mari – t'en rêve jour et nuit, de l'eau qui va enfin te sauver de la mort -  et là – pendant des jours, ils vont te laisser mourir de soif...

 

Mais si, Maggie, tu vas souffrir ! C'est pas la morphine qui va l'empêcher – mais voilà, tu pourras pas l'dire. Qu'est-ce que tu crois. Tiens, dans l'bouquin que j'lis, l'auteur, c'est un avocat. A un moment, il donne la parole à un médecin. Drôlement bien, celui-là, qui raconte : Il était hanté par  le souvenir d'avoir vu certains, en soins palliatifs, dans un état « d'inconfort ».  Il mettait l'accent sur « l'inconfort ». C'est ce qu'il voyait, lui, et cela l'avait poursuivi, pendant des jours. Cet état « d'inconfort » qui traduisait, à l'extérieur, quelque chose de mystérieux, et probablement de terrible, qui se passait à l'intérieur. Mais plus rien ne sortait, du corps paralysé, même plus une larme, que de la sueur – La sueur, ça c'est moi qui te l' dis. Mon frère, il a souffert comme ça, cinq jours, il pouvait même pas crier pour dire qu'il avait mal. Sa femme était dans un petit coin, dans la cuisine. Elle, au moins, elle pouvait pleurer. Non, moi, je l'ai su qu'après coup, je croyais que tout se passait bien, et pis, j'étais lâche, Maggie, je crois, aussi.

 

Grand silence consterné de Maggy. Qu'est-ce qui me prenait !?

 

« Baaaf, Maggy, tu crois pas qu'on en a eu not' claque, cette après-midi !? Là ça suffit, hein ...Stop, maintenant !

 

Maggy éclate d'un rire soulagé ! On avait passé ce dimanche après-midi à rendre visite à des cousins à elle, à l'EHPAD. Une dame toute menue, dans sa chaise roulante. Si reconnaissante que je lui masse le dos, et les bras, pendant qu'on essayait d'expliquer à son homme les problèmes complexes qui se posaient, avec sa maison que nous l'avions aidé à mettre en vente. Il fallait qu'il se concentre. Mais voilà, il voulait surtout nous expliquer qu'on lui avait volé des timbres, dans l'armoire. Que quelqu'un fouillait dans ses affaires. Et pendant presque trois heures, ce fut une lutte afin qu'il arrête ça, et nous écoute enfin.

Et puis enfin, on était parti, avec sa signature toute tremblée sur la lettre recommandée qu'on allait envoyer à l'agence. Oui, Maggy allait aider son cousin sans famille, et moi j'aidais Maggie à l'aider. Ce n'est pas parce qu'il ne pouvait plus se défendre, et qu'il radotait un peu, qu'on allait laisser sa maison être bradée par l'état pour payer ses dernières années de vie...

 

Et, à un moment, dans l'auto, pendant que nous étions sur le chemin du retour, je n'avais pu m'empêcher, ça m'était sorti comme un cri du cœur :

 

« Maggy, dis-moi, on ne deviendra quand même pas comme ça, toi et moi !? »

 

Maggy, toute de blanc vêtue, avait poussé un petit soupir, un peu contraint :

 

« Qu'est-ce qu'on pourra faire, Simone, quand ça arrivera !? Tu crois qu'on pourra peut-être... ? »

 

Et c'est ainsi que la conversation, que j'avais transformée en monologue quelque peu lugubre, avait débuté. On avait même oublié les bosses-ralentisseuses, ce faisant. Et puis, on avait fini par en rire, lorsque je m'étais exclamée : 

 

« Tu crois pas, Maggy, qu'on en a eu not' claque, cet après-midi !? »

 

Et sur ce, on avait, soulagées, choisi d'en rire !

 

Après qu'elle fut rentrée chez elle, comme j'estimais mériter une récompense, je m'étais préparé un bon casse-croûte : pâté aux oignons confits – pain complet - j'avais sauté le  repas de midi, m'étant levée trop tard. A l'EHPAD, on nous avait, pour le goûter en salle à manger, accordé une gaufrette. Franchement, fallait un estomac pas mal rétrécit pour que ça remplace...

 

Bon signe, quand même...