Éditorial de Février 2017

AINSI FONT FONT FONT – LES PETITES MARIONNETTES

J'aurais dû et pu y songer bien avant. Mais voilà : les choses les plus simples et évidentes se plaisent parfois à se dérober au regard. On cherche loin la solution, alors que, visiblement, elle déborde de sa cachette, mal repliée sous le tapis.

 

Ouais. J'avais cherché, longtemps. Ce qui me consolait, c'est qu'au lycée où je me rendais à présent régulièrement, on ne se bousculait pas à la porte de l'atelier-théâtre. Non. Les volontaires étaient rares. Plutôt bons. Mais rares.

Alors, au fur et à mesure que les années passaient, et que le nombre des acteurs-actrices amateurs se réduisait, ma pièce, également, modifiait son scénario. Cela se nomme : »adaptation aux situations ». Seuls subsistait l'idée directrice (Haro sur la cigarette et la malbouffe). J'étais profondément convaincue de l'utilité – voire de la nécessité impérative de faire résonner ce haro dans tous les azimuts, quitte à me casser les cordes vocales. Mais j'avoue aussi que je prenais un plaisir particulier à créer, à voir surgir du néant, sous mon impulsion, quelque chose qui prenait vie et forme, qui vibrait, comme une mélodie sous l'archet, qui suivait des règles mystérieuses, quasi-cabalistiques, dont la pertinence échappait à son propre créateur. Quelque chose de purement intuitif, de non raisonné, qui prenait forme, sous vos doigts, d'une façon non voulue, non programmée – comme une histoire d'amour, à laquelle on ne s'attendrait pas. Heureusement qu'il existait cette merveilleuse compensation. Parce que sinon, c'eut été du pur masochisme ! Je ne savais jamais ce que serait le lendemain. Mes actrices viendraient-elles jouer ? Devraient-elles se rendre à un enterrement obligatoire ? Auraient-elle omis de me signaler qu'elles prenaient des vacances la semaine suivante ? Quel jour allait-on me signifier qu'on s'était fait inscrire  au club de marche pour tel jour du mois, et que le calendrier , chez nous, allait devoir s'adapter en fonction de... ? (Plus adaptable que moi, tu meurs). Quel jour allait-on me dire qu'on s'était trompé dans les dates, qu'on avait réservé à Kirwiller (voir les jupons froufroutant) – que c'était pour le bon motif – c'est à dire pour ne pas déplaire à l'ami qui ne souhaitait pas déplaire à son  association – et que nonobstant, il allait falloir reporter notre spectacle à X afin de pouvoir satisfaire Y...

 

J'avais mis toute une longue vie à réaliser que de diriger un club de théâtre, c'était comparable à diriger une ville ou un pays. J'aurais détesté ça. Pour avoir la paix, et dormir tranquille, sans que quiconque – à part les spectateurs extérieurs  - ou les autres nations -  trouvent à vous reprocher ceci ou son contraire, il fallait avoir l'âme et l'intransigeance d'un dictateur. Sinon vous n'arrêtiez pas d'osciller, comme une balle de ping pong, entre les uns et les autres, aux désirs impératifs et contradictoires, mais tous unis et prêts à vous étriper à la moindre occasion. Nos politiciens savaient y faire. Tout prêts à prôner ceci et son contraire, selon qu'on écoutait leur discours de l'oreille droite ou de l'oreille gauche, et que les murs renvoyaient le son avec une certaine dureté ou d'une façon plus feutrée.

En retour, ils vivaient intensément. Moi aussi. Ils avaient une certaine puissance. Moi pas. Ils avaient souvent de l'argent. Moi pas. Par contre, comme l'ermite qui a appris a renoncer à presque tout, et qui en retire satisfaction, je me trouvais bien dans ma peau. Sans compromis. Souriante et droite dans mes bottes. Attendant « le bon moment ». Et là, il était venu. Enfin ! J'avais enfin compris que je pourrais créer et jouer mes pièces sans me débattre avec une cohorte de personnes  rarement satisfaites- trop souvent prêtes à partir en claquant la porte – et faisant planer sur ma tête – toujours – l'aile sombre d'un calendrier toujours précaire – et des incertitudes freinant constamment les prises de décisions nécessaires.

OUFF !!

OUI !! RE-OUFF !

J'avais trouvé le truc, enfin !

Et comme j'aurais trouvé, par hasard, posé sur le coin d'un guéridon, un trousseau de clés égaré, j'avais, d'un coup, réalisé que la solution, elle était là , toute prête, à ma portée, évidente !

C'est en cherchant autre chose que l'on trouve, généralement , ce qu'on ne cherchait pas. Du moins pas à cet endroit !

Moi, ce que je cherchais, c'était comment réaliser un sketch joué à trois, quand on se retrouve seule !? C'était matériellement totalement impossible. Alors, comme je souhaitais satisfaire la personne qui m'avait passé commande, j'en avais réalisé plein d'autres, à la place. Tous meilleurs les uns que les autres. Seulement voilà, je sentais bien qu'un regret flottait dans l'air ambiant. Mais tant pis, j'en avais pris mon parti. Il faut savoir rester philosophe, sinon vous vous retrouvez aigrie, et c'est détestable. Démobilisateur.

Donc, furetant dans mon matériel, je retrouvais la bonne tête de Mr du corbeau, laquelle, ma fois, nous avait bien servi à l'époque. Mais semblait devoir être mise à la retraite depuis que...

Et c'est là que l'idée me vint de la transformer en marionnette...et en deux temps trois mouvements, elle fut revêtue comme il se doit d'un long cou d'autruche noir et brillant et d'une robe noire et lustrée. Du coup j'eus l'idée d'en faire autant avec la perruque d'un jaune doré ayant appartenu à l'ex Mme La Cigale, laquelle fut alors parée d'une ancienne défroque de patinage d'un beau vert satiné.

 

Il ne restait qu'à improviser et à brancher la caméra. Ce qui fut fait. Comme dans un rêve. En visionnant, je me rendis compte que le 1er essai était le bon. Maître corbeau avait été parfait. Effronté à souhait. Et un brin attendrissant dans son nouveau rôle de Don Juan. Ce qui ne l'avait pas empêché de réciter la fable de La Fontaine, à sa façon. Il avait demandé une augmentation, et j'avais promis de la lui accorder. Mademoiselle La Cigale, elle aussi, m'avait impressionnée – en bien – je trouvais que ses antennes trépidaient à qui mieux mieux – d'une façon très impressionnante - pendant qu'elle se trémoussait, se  prenant ma foi pour une vraie star – elle aussi m'avait demandé de l'augmentation – je l'avais également accordée.

 

Cela s'était réalisé en cinq petites minutes – avec une facilité déconcertante – j'y avais, certes réfléchi un peu, au volant de ma nouvelle Partner (haut perchée – pour mieux voir de loin). Je me représentais bien Mr Du Corbeau en séducteur, tendant son long cou (mon bras passé dans l'un de mes collants), et claironnant  à qui mieux mieux :

« Regarde-moi bien, qu'est-ce que t'en penses !? Regarde-moi bien – Tu m'trouves l'air rance !? Mais fallait m'voir danser – danser - le charleston – quand j'avais trente ans – à Carcassonne ! »

 

 Et son regard louvoyant par derrière ses paupières mi-closes lorsqu'il reluquait le fromage échappé de son bec – et sa façon d'essayer effrontément de se le réapproprier !

 

Bon, ben la solution était trouvée...un théâtre de marionnettes – fini les incertitudes et contestations.

Et 200  % d'augmentation ne me gêneraient nullement (200 % de zéro = zéro...)

 

OUFF et RE-OUFF. (et en plus mes petits chéris me diraient parfois – entre deux ricanements, de petites gentillesses – ouahh – sevrée comme je l'étais, je ne pourrais qu'apprécier !)