Éditorial de Mars 2017
« SUR UN LIT DE FLEURS »
Parfois, je m'étais demandé : « mon paradis serait peuplé de quoi ? Les savants l'affirment régulièrement : de l'espace sans matière aucune, ce n'est plus de l'espace, c'est le néant - rien - donc mon paradis devrait être peuplé. Et où se situerait-il, ce paradis !? Dans un espace. Oui. Peut-être dans les nuages, et sur l'un d'eux, flottant comme un tapis d'Orient, il y aurait un lit de fleurs, au travers desquelles je m'enfoncerais indéfiniment, sans peur aucune, toute emplie de l'émerveillement de ne plus avoir peur, jamais.
Peut-être y aurait-il du papier et des crayons de couleur. Juste pour dessiner mais pas pour écrire. Les gens qui écrivent ne sont pas heureux. Et je serais heureuse. Comme aujourd'hui. Bonheur juste entaché d'une petite ombre : de devoir écrire. VOUS écrire. Ecrire pour mes fidèles lecteurs. Remplir une obligation, au lieu de déambuler, au gré de mes rêveries. J'ai une terrible envie de ne rien foutre. De voir se former, sur ma rétine, plein d'images multicolores qui évoqueraient mes anciennes vies - de revivre, de chacune, des petits bouts : « Quelle imagination elle a, votre fille, Mr Humbert, avait dit Mme W à mon père. » Elle le pensait vraiment. Mais elle voulait aussi, en même temps, le flatter. Les femmes aimaient toutes flatter mon père.
Moi non. Mais le petit castelet qu'il avait construit, pour moi, et pour faire plaisir à Mme W, était tout de même pratique et j'y exerçais mes talents avec conviction. C'était juste un peu dommage que les bandes de papier alu - les cheveux de mon ange - n'aient pas bien tenu sur le support vide en carton du rouleau de papier hygiénique - visage de l'ange - par contre celui-ci, bien qu'un peu trop long pour sa largeur, avait répondu à mes exigences : éthéré - sans expression - voilà ce qui convenait, à mon sens, à la psychologie des anges.
J'éprouve une satisfaction similaire, ce jour, en face du visage expressif de Mme Hamburger. Plongée au milieu des chiffons, elle y trône sans états d'âme et sans complexes, toute imprégnée d'une énorme autosatisfaction. Elle est énorme à tous points de vue, Mme Hamburger : grosse tête, gros nichons, gros yeux, grosse bouche, gros appétit. Son air férocement jouisseur m'interpelle, à chaque fois : j'ai fait quoi, pour parvenir à ça ? Je ne sais pas, je dois travailler, autoguidée par une instance supérieure qui me commandite pour faire ci et ça. Pour n'avoir envie de rien d'autre que de m'émerveiller sur l'expression férocement jouisseuse de Mme Hamburger, de la bouche de laquelle un magicien ferait sortir d'une voix tonitruante : « ah aahh... de la mayonnaise qui vous dégouline... slap slap... »
Mme Hamburger s'est vu attribuer tout récemment une coiffure personnalisée : bouclettes d'un agréable blond doré genre Dallas. Je suis en train de réfléchir à un système d'accrochage qui permettrait en quelques brèves manœuvres d'accrocher solidement cette perruque par quatre points d'ancrage, sans avoir besoin de la coudre sur le crâne chauve... Entre deux rêveries mon esprit pratique reprend les rênes : cousu dessus, elle va tenir, certes, mais les belles bouclettes vont perdre très vite leur judicieux agencement, se colletant lors de chaque manip à toute une ménagerie mangeuse d'espace : Mme la Cigale, Mr du Corbeau, et à tous les et cetera que laisse augurer un certain esprit d'entreprise. Et je souhaite une Mme Hamburger représentative de l'esprit BCBG américain plutôt que du relâchement débridé parisien ! (Je ne dis pas « à la française », cela risque de passer pour raciste... alors que le parisien passe au contraire pour très large d'esprit !)
Hou là, on dirait que mon esprit caustique se réveille en même temps que j'écris... Ah non, pas ça - pas maintenant. Alors que j'étais si tranquille, si bien, en si bonne compagnie...
Rien que de devoir m'atteler à ce clavier aux touches effacées et renouvelées tous les trimestres, et à mes parallèles fautes de frappe qui contribuent à mes tourments, cela me rend un brin agressive, alors que j'étais si bien, là, en train de rêver à une chute douce, depuis les nuages, au milieu d'un lit de fleurs accueillant - toujours le même rêve...
Aujourd'hui, je préfère, et de loin, le fil et l'aiguille au clavier ! Certes, depuis hier soir, je me suis passablement piqué le bout des doigts, au point, même, de prendre sur moi d'apprendre - enfin - de coudre - protégée d'un dé ! Coudre à la main - depuis que mes yeux ne me permettent plus de distinguer le chas de l'aiguille au milieu de la brillance de ma machine électrique haut de gamme - c'est tout de même une détente incroyable.
Depuis que les virus, se vengeant d'une chanson humoristique dans laquelle je les prends pour cible, m'ont agressée par tous les bouts, me laissant là, les poches bourrées de mouchoirs et de bonbons anti-rhume, depuis un temps si long que je ne m'en remémore même plus le début, je n'ai vraiment plus envie que d'une chose : m'enfoncer agréablement dans un lit de fleurs, voletant sur de hauts nuages, bien au chaud, sans peur du vide, en compagnie de mes poupées de rêve : Mme Hamburger, Mr du Corbeau, et Mme La Cigale, en attendant que la famille grandisse, alimentée par une inspiration... laquelle... heureusement - jusqu'à présent - ne m'a pas encore fait défaut.
Souhaitons que cela dure.
Mais peut-être que le soleil, encore bien froid, daignera-t-il, sur ma terrasse, me réchauffer bientôt le dos un peu endolori, de façon que, pleine d'alan, je songe aussi à d'autres conquêtes que celles des nuages, même tout emplis de fleurs.
Simone Schlitter
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