Éditorial de Juin 2018

LE PARC ENCHANTÉ

Passé – présent – futur...

Ces notions devenaient un non-sens au niveau de la molécule, avait dit Carlo Rovelli. Et je lui faisais confiance. Tout comme l'on accorde entière confiance à la science. Mais, mieux, je faisais entière confiance aussi à la prédiction sombre qui paraissait, en filigrane, au travers du ton léger que l'auteur venait d'utiliser dans l'Ordre du Temps, œuvre au travers de laquelle il essaye de nous rendre accessibles diverses notions heurtant le sens commun*

 

Quelle était donc cette « prédiction sombre » !? Ben ma fois : notre civilisation était en plein déclin. Non seulement, mais l'espèce « homme » disparaîtrait rapidement. Vous me direz : « peu importe, vu que, déjà, de nombreuses autres espèces vont s'éteindre, grâce à notre empressement d'étouffer la planète sous des milliards de tonnes de divers plaisantes substances, résultat de notre ingéniosité à transformer une matière primaire en un kaléidoscope de choses directement utiles, ou utiles indirectement, ou totalement inutiles, remplissant du plancher au plafond les rayons des hypermarchés, des pharmacies, des millions de camions transporteurs, de cargos, le fond des mers et leur surface, les alvéoles des ruches, les narines des bébés et des adultes, et s'accrochant aux gouttes d'eau en suspension dans les nuages ainsi alourdis. »

 

On pense souvent, je crois, à sa propre mort. Surtout au-delà d'un certain âge. Mais, l'a-t-on remarqué : l'on vit très bien, et confortablement, entre deux pensées de ce genre. Quand j'étais plus jeune, voyant les vaches dans les prés ruminer paisiblement, j'avais tendance à songer : « elles vivent tranquilles, les bébêtes, contentes de ruminer le contenu de leur panse, sans même se préoccuper de ce qui les attend, à l'abattoir, un de ces jours. »

 

Aujourd'hui, ma conception s'est légèrement modifiée, et je ne juge plus, avec un certain petit mépris, les braves vaches dans leur pré. Entre les vaches et l'homme, pas de profonde différence...Nous sommes les produits du monde. Résultat d'une certaine évolution. Simplement, chez nous, la technologie et la science ont progressé bien plus vite que l'adaptation sociale. L'homme n'a pas eu le temps de disposer de suffisamment nombreuses générations pour se construire une morale, des lois et un comportement adapté aux progrès techniques et scientifiques. Ebloui par ces apparents progrès et la puissance semblant en découler, l'homme n'a pas « réfléchi plus loin que le bout de son nez ».

 

A présent, coincé entre un appétit féroce de jouissance et sa cage (le globe terrestre), bourrée de ses déchets, il se démène, continue à consommer à outrance tout et n'importe quoi, et considère ce qui risque d'en découler, certes, avec une certaine frayeur, mais de la même façon qu'il considère sa propre mort : avec une certaine philosophie – et seulement de temps en temps...

 

Cela n'empêchera point les hypermarchés de nous galvaniser de leur musique entraînante. Entraînante à quoi !? Ben, à vivre dans la gaîté, voyons, c'est quand même mieux que de nous bercer d'un Requiem, non !?

 

Dans les hyper – je vais l'avouer franchement, je m'y rends. Mais moins qu'on ne pourrait le croire. Par manque de temps. Et puis parce que le clignotement des néons me fait mal aux yeux. Et, après, au volant de ma voiture, (parce que c'est là que j'aime prendre le temps de rêvasser...), il m'arrive parfois de songer au fameux conte de Pinocchio, et à cette espèce de parc enchanté et maudit, où d'innocents bêtas pouvaient à profusion s'empiffrer de plaisantes sucreries pour se voir, à la sortie, affublés d'un bonnet d'âne qui leur poussait par-dessus les oreilles.

                                                                       Simone Schlitter

                                                                       Présidente de Santé-OK ?

* Voyez à ce propos, la rubrique J'AI LU POUR VOUS