Les maladies neurologiques en général...

ET...UNE HISTOIRE VECUE, EN PARTICULIER

Par Marthe Humbert

 

J'y songeais récemment. Je venais d'apprendre que la détérioration de la fonction de déglutition était relativement fréquente chez les personnes atteintes de SEP (Sclérose en plaques). Un article dans le RL avait attiré mon attention sur cette grave maladie. J'avais eu l'occasion de m'entretenir avec Viviane, la Présidente de Sepasimple. Une foule d'anciens souvenirs m'avait envahie : la faiblesse extrême qui terrassait par moment  Roger, mon mari. Ses si fréquentes difficultés de concentration, chez lui qui avait été un orateur si subtil...Cette progressive et constante dégradation de son état. Aucun médecin qui, à l'époque, ne pouvait mettre un nom sur son mal. Les symptômes d'une hypothyroïdie, alors que le labo décelait une manifeste hyperthyroïdie. Et puis cette dysphagie qui s'était installée, et qui avait laissé place à une paralysie totale de la fonction de déglutition.

 

 

Il n'était pas mort de faim et de soif, parce qu'il avait été placé très vite en nutrition  artificielle. Les médecins de l'époque, qui défilaient, se grattant le cuir chevelu. Celui qui, le premier, avait diagnostiqué « un parkinson ». Un neurologue de l'époque, aussi, qui s'était déplacé exprès (rare, ça...!) et qui avait diagnostiqué : « Ce n'est PAS parkinson. Le neurologue de Nancy, sommité reconnue, qui ne comprenait pas pourquoi Roger aurait pu en ambulance parcourir cent km fois deux sans problèmes le même jour, mais ne pouvait sans vomir tripes et boyaux résister aux sept  virages à 90°, qui faisaient obstacles, sur les 4 premiers kilomètres qui nous séparaient du long ruban sécurisant de l'autoroute. Les examens qui ne pouvaient pas se faire, car Roger était saisi de violentes convulsions, et d'une paleur cadavérique, avant que d'avoir effectué les sept virages fatidiques.

 

Moi, sa femme, qui m'étais donné pour mission de le protéger envers et contre tout : de la maladie, de l'extrême inconfort, d'un certain risque de maltraitance, aussi, pour ne pas dire pire, ceci lié à l'esprit trop doctrinaire de beaucoup d'hommes de sciences.

 

Oui, cela, à considérer depuis son début, avec le recul du temps qui a passé depuis, à mes yeux,  aurait aussi bien pu représenter une sclérose en plaques progressive...perte de la parole, de la faculté de déglutir, de marcher, et, pour finir, ne même plus pouvoir fermer volontairement les paupières , ni bouger pouce ou petit doigt, ni donner le moindre signe qu'il avait compris ce qui se passait autour de lui, quand bien même il le comprenait, j'en reste persuadée. Il se trouve qu'un jour, j'eus l'occasion, néanmoins, de le faire transporter en ambulance et sur une civière jusqu'à un neurologue assez compatissant pour le recevoir, à l'hosto, dans le cabinet privé d'un collègue non neurologue.

 

C'était fort compliqué, car aucun hôpital ne voulait recevoir Roger en ambulatoire - question d'amortir les frais (notre médecin de famille de l'époque me l'avait confié) – et moi, je ne voulais pas laisser mon mari entre les mains d'un personnel qui ne me semblait pas assez formé pour improviser, 24 h durant, une nutrition par sonde au débit sécurisant expérimenté par moi,  en position latérale de sécurité après  repas absorbé à un rythme établi par une longue expérience, doublé de l'administration d'insuline avec glycémie très surveillée, en fonction d'un tableau pointu qui tenait compte de jours pairs, avec packs « ordinaires », et jours impairs, avec pack hyperprotéinés. Sans compter que les tubulures en plastique des pompes nutritives électroniques aimaient se payer des fantaisies, en fonction du fabricant et de la température, toutes choses que l'on ne pouvait savoir qu'après avoir bien trempé dans le caca ! Je n'avais pas droit à l'erreur – un débit trop rapide l'eut fait vomir. Un débit trop lent eut fait jouer la glycémie au yoyo. Trop couché pendant la nutrition l'eut fait vomir. Les lits d'hôpitaux ne permettaient pas une vraie position assise, l'axe de rotation du dos se situant trop haut, les personnes glissaient vers le pied du lit, leur cou se pliait à la verticale pas rapport au tronc, que devenait l'estomac déjà tourmenté par la sonde et la stomie, dans tout ça !? Bof...  

Le fameux neurologue compatissant qui avait bien voulu permettre ainsi une exception au règlement intérieur, diagnostiqua, à l'époque, une PSA.( Paralysie supranucléaire progressive) : Il y a une région du cerveau qui est atteinte et dégénère, mais ce n'est pas la région concernée par parkinson. Il n'y a pas de rémission. On n'en meurs pas, si l'on n'est pas trop affaibli  par les difficultés de nutrition et d'hydratation. A moins de fausses routes...Il n'avait pas évoqué de sclérose en plaques, ni parlé d'IRM...

 

Je crus cet homme sur parole. Les maladies neurologiques sont, de toutes les maladies, celles qui sont le plus perturbantes. Le neurologue prescrivit un certain psychotrope que j'administrai à mon époux deux jours durant, puis stoppai : le visage était devenu cadavérique, les chairs affaissées. Plus jamais ça !

 

La maladie se déclara insidieusement, sur une période de quelques années durant, après 65 ans. Roger me quitta à 87 ans. D'une embolie je suppose. Là encore, je me sens coupable : j'aurais dû savoir éviter ça.

 

Mais j'avais pu mettre un nom, finalement, sur ce qui nous angoissait si fort. A quelque part, c'était rassurant : on n'ignorait plus tout de ces étrangetés...à quelque part, dans notre désespoir, on se sentait quand même un peu plus fort d'en savoir un peu plus.

 

L'étape la plus perturbante, dans notre malheur, avait été l'émission de la salive. Dans la vie de tous les jours, on y pense pratiquement jamais, à cette production de salive. Parfois, suite à une émotion, on remarque qu'on avale sa salive de travers, et on se met à toussoter. Généralement on l'oublie aussi vite. Mais cette fausse route, réalisée suite à une perturbation du fonctionnement normal de la machinerie, est un symptôme de ce qu'on appelle « la dysphagie » : on avale mal. C'est fréquent, relativement, lorsqu'on prend de l'âge : certaines fonctions fines s'effectuent plus mal. Dans la SEP, aussi, j'ai vu que les dysphagies sont relativement fréquentes.

 

Dans la maladie de Roger, les fausses routes furent rares. Mais arriva donc un moment, comme je l'ai dit, où, carrément, il n'avala plus. Plus rien de rien : la compote donnée le matin à la petite cuillère resta dans sa bouche toute la journée, et il fallut se résigner à la ressortir de sa bouche, le soir, après multiples essais, auxquels il collaborait en ouvrant la bouche, mais cela s'arrêtait là.

 

A partir de là, pratiquement, il n'avala plus jamais rien...la salive s'écoulait de sa bouche par les commissures. On l'essuyait au fur et à mesure, et nous le protégions de l'humidité et de l'inconfort par une grande serviette. Mais la nuit !? Et de jour lorsqu'il faisait la sieste !? Il était toujours couché en position latérale de sécurité, sur le côté, une fois à droite, une fois à gauche, avec une protection permettant d'éponger l'écoulement. Il y avait des moments où la salive était si abondante qu'elle formait un filet continue que nous épongions au fur et à mesure. Je dis « nous » ? Bien sûr ; je disposais de personnel. De 6 h du matin à 21 le soir, je n'aurais pu assumer tout le temps, j'avais besoin de décompresser, je me réservais des plages de temps libre, trois, voire parfois quatre fois par semaine. Je pratiquais un sport, intensément. Grâce à cela, je tins le coup. J'allais sonner à la porte des ORL...que faire...jétais paniquée à l'idée qu'il se noie, silencieusement (il ne pouvait même plus tousser...) Les uns me parlèrent d'une opération possible, consistant à enlever les principales glandes fabriquant la salive. Prudente, je consultai plusieurs ORL. Il me fut dit également qu'en aucun cas je ne devrais tenter cela. J'écoutais ce conseil qui me semblait sage. Plus tard, j'appris que, par manque de salive, tout l'intérieur de la bouche pouvait s'ulcérer gravement, et qu'en outre, la salive était une protection contre les bactéries et mycoses. Je finis par apprendre que la toxine botulique, administrée dans les glandes salivaires, pouvait paralyser leur fonctionnement un certain temps. Nous fûmes, suite à ma demande, régulièrement convoqués à Metz, à Bon-Secours, où un neurologue administra, sur une période de trois mois environ, une fois par mois, cette toxine à Roger. Comme cela avait une certaine valeur d'information scientifique, et était nouveau, le neurologue se baladait, caméra sur l'épaule, et filmait Roger dans l'état où il était (pour ses étudiants », prônait-il, très fier. J'espère que cet homme sera puni par où il a péché. La vie est bien assez longue pour qu'il y ait un retour de bâton... La troisième fois, j'eus le courage de demander qu'il laisse la caméra au vestiaire. Il fallait du courage, oui, et aussi de la colère, car le neurologue pouvait ne pas ou ne plus convoquer les personnes concernées, et il avait insisté sur le fait que le produit était très cher – et rare... Je nous sentais, quasiment, « à sa merci ».

 

Petite parenthèse :

 

ma vie d'infirmière spécialisée fut pendant  ces vingt années de pratique bien assez longue pour qu'entre temps j'y ai perdu quelques illusions, entre autres celles de croire que, dans le monde de la médecine, à l'instar des personnages du célèbre film de Jean Yanne, « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » !

 

Ce fameux neurologue me demanda ensuite de faire des rapports : un peu d'amélioration  - beaucoup – ou pas du tout, rapports chiffrés sur une échelle de 1 à 10.

 

Ce genre de rapport d'analyse d'une situation, , purement quantitatif, était, dans sa conception, totalement faussé. En effet, amélioration par rapport à la quantité de salive, ou par rapport au confort de vie !? Car la salive s'était transformée en longs filaments gluants de chewing gomme. Je la tirais hors de la bouche en l'enroulant sur des petits bâtons. Je penchais Roger un peu en avant, une lourde table placée devant lui pour retenir une chute éventuelle, et ensuite je rinçai prudemment l'intérieur de la bouche à l'aide d'une  seringue, une bassine placée sous le menton pour recueillir l'eau. Je ne donnai plus suite à ce traitement, qui me semblait un remède pire que le mal. Avait-il néanmoins produit un certain effet curatif ? Possiblement, car des années durant, ensuite, ces émissions intempestives semblèrent s'être calmées. Roger avait de très belles et bonnes dents (on ne peut avoir tous les malheurs ensemble...) Sa bouche était rincée à l'eau, grâce à ce système, matin et soir. Il fut néanmoins parfois emmené chez notre dentiste, placé sur  un brancard, puis  dans le fauteuil de soins en position quasi-couché. J'oublie de dire qu'à partir du moment où la paralysie s'installa franchement, concernant tous les endroits du corps susceptibles d'obéir à la volonté, Roger devint beaucoup plus facilement transportable, et, dans la mesure où les ambulanciers étaient prudents (ils avaient très peur qu'il ne s'étouffe dans d'éventuelles vomissures...et moi je partageais cette peur, évidemment ! ), le transport devint plus facile, sauf dans des endroits où la configuration aurait nécessité des ascenceurs – inexistants.

 

Comme dans la chanson : « je ne regrette rien » – sauf de ne pas avoir su prolonger encore et encore la vie de mon mari, devenu mon pauvre enfant.

 

C'est ainsi. On pourrait discuter indéfiniment et philosopher encore et encore sur l'acharnement thérapeutique, le bien-fondé d'une euthanasie ou de soins palliatifs, et décider à leur place du désir de vie des malades, ou de leur désir de mort. Le futur malade et actuel bien-portant pourra lui aussi à l'avance décider de ce qu'il souhaitera, « le fameux moment venu ». Ce qui n'empêchera pas que dans ses derniers instants, programmé pour vivre, il puisse penser tout bas :

Vous avez dit « Mourir » ? C'était AVANT ! Quand j'étais fort. Et fier ! Et bien portant. Mais maintenant, je suis juste moi, affaibli et malade. Alors, ayiez pitié : je veux vivre !

 

Un livre a été écrit à ce propos. Vous pouvez vous le procurer au prix de 30 €. Titre:Non Docteur, je ne me résigne pas, éditions Publibook. 400 p.

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