Un parfum d'herbe coupée, Nicolas Delasalle

J ai lu un parfum d herbe coupe e

Les commentaires de la quatrième de couverture correspondent bien à l'impression du lecteur... Et le garçonnet au torse fluet, pas encore sorti de sa chrysalide, dont le bras nu tenu hors de l'habitacle de l'auto semble vouloir tester la force du vent - ce garçonnet - que l'on prend possiblement pour une jeune femme – tant il est gracile – en première observation - va nous tenir en haleine – tout au long d'une histoire qui en fait n'en est pas une. Curieux paradoxe : c'est probablement justement parce que cette histoire n'en est pas une, avec son début et sa fin, et son milieu, qu'elle m'a véritablement tenu personnellement en haleine...

 

Succession de bouts d'histoires – de sensations – de moments forts – de points d'interrogation que l'on se pose à douze ans – lorsque le sexe opposé est à la fois si proche et si loin – le texte surprend et ravit. Surprend parce qu'en fait l'observation superficielle de la lectrice un peu blasée que je suis parfois m'incitait au départ à lire cette histoire d'un peu loin. La photo de la page de couverture évoquait pour moi une lecture de gare, un récit de vacances facile, au soleil, la mer à portée de bouée –  avec l'inévitable romance à l'eau de rose fabriquée spécialement pour lectrices désoeuvrées voyageant en 1è ou 2è classe direction Côte d'Azur. Broueff – je m'attelai à la lecture avec une certaine résignation – mais bien vite celle-ci se transforma en un plaisir rare ! 

 

Je fus ravie – par la finesse de l'analyse – par la description de sensations par lesquelles j'étais passée – moi aussi – dans une autre vie – sentiments parfumés – étranges – vifs – angoissés – triomphants - d'un égoïsme primaire – d'un altruisme sans bornes. Bourrés d'exaltation – prêts à se moquer pour le plaisir – à aimer – à condamner. Sentiments pleins de certitudes que la vie contredirait. Ou d'incertitudes dont le vécu se plairait ensuite à modeler d'autres contours fluctuants.

 

Je fus ravie. Comme si, en demi-sommeil sous une lisse couche d'humus, mon passé d'enfant n'avait attendu que ce signe pour surgir hors de terre, content de se retrouver-là, au soleil, bien vivant, tout d'un coup. Et prêt à dire :

 « Ah oui, je me rappelle...voilà...j'avais pensé comme ça, moi aussi – ah oui... Comme j'avais été contente le jour-là, aussi...et bêtement honteuse, cette autre fois...Ah oui, moi aussi, beaucoup plus tard, passant devant l'une des maisons de mon enfance, transformée, dégradée par le temps ou la main des hommes – ou, au contraire « embellie » par une volonté étrangère, j'avais serré les dents. A quelque part, dans mes circuits neuronaux, à un endroit où les pensées restent encore latentes, sans mots encore pour les exprimer, oui, à cet endroit-là, je m'étais dit, moi aussi : « quelle bande de salauds quand même...avoir osé !...Après moi... ! »

 

Personnages que l'on évalue, aime, craint, admire en bloc, ou méprise vaguement, avec ses yeux d'enfants et son cœur naïf. Mais aussi que l'on restitue si justement, dans son essence, mieux qu'avec un appareil photo. Je me souviendrai de quelques professeurs de l'auteur. Et aussi des filles, qu'il embrassa plus ou moins. Plutôt mal que bien, semble-t-il.

 

De celle qui devint son épouse, il en parle peu. Très peu. Juste assez pour que le lecteur sache qu'il s'agit de la mère de ses enfants. Parce que, justement, cette mystérieuse personne, sur laquelle le lecteur n'a  pas trop le loisir de s'interroger, cette personne doit rester un symbole...qui clôt l'histoire qui n'en est pas une : celle de la magie de l'enfance. Et l'auteur ne souhaite pas que cette magie soit déflorée. Et du coup la lectrice que je suis ne le souhaite pas non plus !